mercredi, 18 juillet 2018 10:57

28 Juillet 1868 - Mardi

Dès le matin j’allai voir le Père, il me reçut en souriant. - Je lui demandai permission d’aller à la Messe. Il me fit un signe gracieux d’y aller. Il ne parlait pas. Il ne paraissait pas si fatigué qu’hier peut-être. Le Docteur paraissait sinon satisfait du moins pas plus alarmé.

Le Père se leva pour laisser faire son lit. Il alla lui-même se mettre dans un fauteuil qu’il avait fait disposer.

Tout le jour il reçut ceux qui vinrent. Il avait un signe gracieux et affable pour tous. Mr le Curé vint le voir. L’aumônier de la Visitation aussi.

Je lui présentai ses lettres qui s’étaient accumulées sur sa table. Il parcourut les adresses et n’eut pas la force de lire ce qu’elles renfermaient.Il me fit répondre à deux ou trois. Il me disait alors en deux ou trois mots ce qu’il voulait.

La connaissance était parfaite. Le Père dirigeait tout dans la chambre, faisait placer les chaises dans la chambre, disposer les rideaux, les persiennes selon la disposition du soleil. Il s’intéressait à tout, dirigeait tout surtout la chasse aux mouches le matin, il nous faisait commencer par son lit, son alcôve, m’indiquait dans quel sens chasser, nous montrait celles qui nous échappaient. En un mot il était, bien que sans parole, le même que nous l’avons tous connu tout à tous et à tout.

Quand il ne pouvait s’exprimer parce que l’embarras de la langue ne permettait pas à certaines syllabes de se produire il souriait et avait un petit geste de découragement, moitié aimable moitié résigné, qui voulait dire : « Pardon de vous faire attendre ainsi, mais je ne peux pas m’exprimer, faites ce que vous voudrez ».

J’écrivis quelques lettres, entre autres à toutes les maisons pour faire redoubler de prières et d’instances auprès de Dieu.

À vrai dire, je ne me doutais pas de la gravité du mal, ou plutôt je ne voulais pas y croire. Outre que je croyais en quelque sorte Notre Seigneur obligé de faire un miracle en faveur de son Serviteur, les symptômes du mal étant peu aigus me trompaient. La vraie maladie du Père était dans sa faiblesse. Le Docteur me le disait habitué à voir le Père ainsi, je ne me rendais pas compte exact des craintes du médecin. - Le soir je veillai le Père jusqu’à une heure du matin. Il prit quelque peu de tisane. La nuit fut assez tranquille.

 

Ce texte est transcrit d’une copie conservée aux Archives de la Province de France à Paris. La ponctuation a été légèrement retouchée afin d’en faciliter la lecture.
La copie des Archives de Paris porte comme titre, de la main du P. J. Lavigne, « Notes du T.R.P. Tesnière (fr. Albert) sur les derniers jours du Bienheureux P.J.E. »