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mercredi, 18 juillet 2018 09:13

21 Juillet 1868 - Mardi

Voici autant que je puis m’en souvenir ce que m’a raconté et à d’autres personnes devant moi Mr Bar curé de St Christophe canton de La Mure témoin de cette douloureuse journée :

« Le matin vers 10 heures je rencontrai le Père Eymard il n’avait pas encore dit la Sainte Messe. Nous allâmes arrêter deux places pour La Mure. Le Père invita le postillon à déjeuner avec lui après la messe qu’il alla dire au Sanctuaire de Notre-Dame de La Salette à Grenoble.

Le Père dit sa messe sans trouble ni faiblesse apparente. Je la servais. Après la messe, il voulut aller à l’hôtel déjeuner comme il avait été convenu. Mais il se sent fatigué, à peine à se tenir.

Les Pères le font coucher en attendant le départ de la diligence.

Le Père se leve à l’heure, nous prenons le coupé et nous voilà partis. Le Père devenait taciturne, ne répondait que par des monosyllabes. À chaque relai cependant il descendait, prenait un peu l’air, quelques rafraîchissements et remontait seul en voiture avec assez de vigueur. Arrivés vers le Villard, ma paroisse, voyant que rien de grave extérieurement ne se manifestait et croyant que cette taciturnité ne provenait que de la fatigue ordinaire du voyage, j’offris au Père de l’accompagner jusqu’à La Mure.

D’un autre côté, j’avais laissé la veille un malade fort mal, je devais l’administrer. J’hésitais lorsque le Père me dit d’aller voir mon malade et me remercia affectueusement des petits soins que j’avais pu avoir pour lui. Je recommandai au cocher de veiller de temps à autre à ce que rien n’arrivât. Il me promit de mener ses chevaux bien doucement et de soigner le Père Julien.

Le Père (m’a dit Nanette) arriva vers 7 ou huit heures à La Mure. Nous accourûmes, moi la première, chez Pelloux où la voiture s’était arrêtée. Nous n’attendions pas encore le Père. Il descend de voiture, je l’embrasse, il ne me dit pas un mot, et pendant que je prenais son sac, il marche devant tenant dans une main son manteau et son parapluie contre son bras. Il oubliait son chapeau. J’allai le prendre. Sa soeur arrive, pas un mot non plus. Cependant nous ne nous doutions pas de la gravité de la maladie. Nous pensions que ce serait une fatigue comme il en avait tant de fois éprouvées.

Mais le lendemain nous fûmes désabusées.

Le Docteur exprimait des craintes. La journée de mercredi 22 juillet fut mauvaise. La bouche était toute contournée de droite à gauche. Monsieur le Curé vint voir le Père qui se confessa.

Jeudi [23 juillet] ne fut guère mieux.Vendredi [24 juillet], il y eut un mieux accentué et nous vous écrivîmes.

Le 25 juillet le mieux continua. Les nuits avaient uni alternance de bon et de mauvais. »

 

Ce texte est transcrit d’une copie conservée aux Archives de la Province de France à Paris. La ponctuation a été légèrement retouchée afin d’en faciliter la lecture.
La copie des Archives de Paris porte comme titre, de la main du P. J. Lavigne, « Notes du T.R.P. Tesnière (fr. Albert) sur les derniers jours du Bienheureux P.J.E. »