mercredi, 18 juillet 2018 14:37

29 Juillet 1868 - Mercredi

Le matin avant d’aller à la messe je dis au Père : « Oh ! ce qui vous manque, mon Père, c’est N. Seigneur. Je vais écrire à Monseigneur de permettre à un des prêtres habitués de La Mure de venir vous dire la Messe ». Il sourit mais fit un signe négatif. Peut-être prévoyait-il l’arrivée du père Chanuet.

Le Père se leva encore pour faire son lit. Il voulut changer de linge tout seul et pour cela resta debout sur son tapis. Je ne pouvais le laisser ainsi. Je craignais qu’il ne tombât. Il se changea donc et comme je jetais un rapide regard pour voir s’il ne faisait pas signe de l’aider, j’acquis de visu la certitude de ses macérations sanglantes.

Dans la matinée le Père fut plus gai. Il parlait un peu plus facilement. Nous nous mîmes à table. Il nous fit signe de mettre son couvert et un fauteuil à sa place et pendant que nous mangions il arriva bravement, s’assit et mangea un petit peu de poisson et de raisin. Il nous regardait manger en souriant. Il resta à table un quart d’heure à peu près. Le Père avait pris un peu de pain, il en mangea un peu. Il lui en restait une bouchée dans la main. Sa soeur voulut la lui prendre. Il refusa et me la laissa prendre. C’est la dernière fois que l’enfant reçut le pain des mains du Père de famille.

Le reste de la journée fut très calme. Le Père put traiter quelques affaires. Je lui lisais des lettres, il me disait la réponse en quelques mots.

Nemours revint le poursuivre. Il reçut aussi une lettre pénible de f… Mais dit-il, il n’y a rien à faire.

Ainsi la tribulation l’attaquait encore à son lit de mort. Il reçut une dépêche du père de Cuers demandant s’il fallait venir. Non, me répondit le Père à deux fois. D’autres, les jours suivants, firent la même demande et reçurent la même réponse. Le Père voulait mourir simplement et faire cette action avec la simplicité d’un acte de service Eucharistique comme les autres.

Le soir le Père fut plus agité. Le père Chanuet arriva avec Melle Thomas qui a soigné le Père sans le quitter et a reçu son dernier soupir.

Le Père était trop fatigué pour parler. Ce n’est que le lendemain qu’il adressa la parole au père Chanuet.

Je veillai le Père jusqu’à une heure. La nuit fut très pénible. À un moment le Père eut un râle effrayant à entendre, et plus effrayant à moi. Sa poitrine se soulevait bruyamment. Il respirait avec effort et par saccades. Il était étendu sur le dos pâle comme un mort. Les narines s’étaient retirées et contractées. La bouche était violemment serrée. La sueur ruisselait sur son visage, cela dura plus d’une demi-heure (je crois). Je m’approchai. Je ne savais quel parti prendre, je priai. Enfin le bruit cessa et le Père resta assoupi jusqu’à l’heure où je le quittai pour aller reposer.

 

Ce texte est transcrit d’une copie conservée aux Archives de la Province de France à Paris. La ponctuation a été légèrement retouchée afin d’en faciliter la lecture.
La copie des Archives de Paris porte comme titre, de la main du P. J. Lavigne, « Notes du T.R.P. Tesnière (fr. Albert) sur les derniers jours du Bienheureux P.J.E. »